Responsabilité
Mons (1er chambre), 30 avril 2020, RG n° 2019/RG/209 disponible sur www.juridat.be
Lors d’un match de football, un joueur a effectué un tacle sur un autre joueur ce qui lui a causé plusieurs fractures à la jambe droite. Le joueur blessé estime que l’autre a engagé sa responsabilité extracontractuelle et lui doit une indemnité.
Dans un premier temps, la Cour d’appel constate que la faute n’a pas été sifflée par l’arbitre. Elle estime cependant qu’il ne s’agit pas d’un indice déterminant. Après audition de plusieurs témoins, il en est ressorti que le tacle avait été effectué les deux pieds en avant et que ceux-ci avaient touché les jambes du joueur avant de toucher le ballon. La Cour d’appel a considéré que le joueur n’avait pas eu un comportement prudent et diligent et n’avait pas respecté les règles de la FIFA qui interdit les tacles irréguliers. Sont irréguliers les tacles effectués quand le ballon n’est pas directement dans les pieds du joueur adverse et que celui-ci se dirige vers les jambes du joueur et non vers le ballon.
La Cour a donc conclu qu’il y avait eu violation des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Civ. fr. Bruxelles (77e ch.), 21 mai 2021, R.G.A.R., 2021, p. 15822.1.
Madame R. pratique le trapèze de manière régulière. Lors d’un entraînement, celle-ci rate une figure et retombe sur la tête dans le filet de sécurité. Cela lui causera plusieurs lésions aux cervicales.
Madame R. estime que Monsieur E. est responsable de sa mauvaise chute car il était censé garder sous tension les longes de sécurité qui permettent de freiner les chutes.
Monsieur E. dit que Madame R. serait responsable de sa propre chute car elle ne se serait pas mise dans la position requise lorsque l’on échoue une figure.
Eu égard aux témoignages apportés, le tribunal rejettera cet argument. Monsieur E. est donc tenu responsable au regard de l’article 1382 du Code civil.
Liège (20e chambre civile), 7 février 2019, For. Ass., n°212, 2021, pp. 52 à 53. (responsabilité du sportif, faute, appréciation selon les particularités du sport)
Lors d’un match de basketball, un joueur a donné un coup de coude à un joueur de l’équipe adverse. La question du litige était de savoir si le coup avait été donné volontairement ou non et de déterminer si le joueur ayant donné le coup allait engager sa responsabilité extracontractuelle.
Lors d’une mise en cause de la responsabilité dans le contexte de l’exercice d’une discipline sportive, le comportement fautif/imprudent de l’auteur des faits reprochés doit être apprécié en tenant compte des particularités du sport concerné.
Des contacts physiques sont susceptibles d’être occasionnés entre les joueurs d’un match de basket-ball.
Le Tribunal décide que « La circonstance qu’un joueur soit blessé dans le cours d’un match de basketball constitue un risque normal, compte tenu des particularités de ce sport et n’est pas ipso facto révélatrice d’un comportement fautif/imprudent de l’auteur de cette blessure. »
Liège (20e ch. civ.), 6 septembre 2019, For. Ass., n°212, 2021, pp. 53 à 56. (responsabilité du sportif, théorie de l’acceptation des risques, risques prévisibles)
Un joueur de football est accusé d’avoir donné un coup volontairement à un de ses adversaires, dans le cadre d’un match. Ce coup a occasionné des fractures à l’autre joueur.
Le règlement de football interdit les atteintes volontaires à l’intégrité physique des joueurs.
En sport comme dans toutes les autres matières, tout manquement volontaire aux dispositions légales ou réglementaires ainsi que tout manquement aux règles de conduite que devrait observer un homme prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, constituent une faute. La faute la plus légère suffit à mettre cause la responsabilité d’une personne pour autant que les autres conditions de la responsabilité (lien causal et dommage) sont remplies.
« Dans le cadre d’une discipline sportive, le sportif accepte tous les risques prévisibles inhérents à la pratique du sport ». Ce sont les risques normaux. La théorie de l’acceptation des risques (théorie selon laquelle un sportif accepte les risques inhérents à la pratique du sport) ne peut pas être invoquée afin de dégager la responsabilité du joueur qui a, de par son geste, excéder les prévisions d’un joueur respectant les règles du jeu.
C.E.D.H., Fédérations Nationales des Associations et Syndicats Sportifs c. France, 18 janvier 2018, n° 48151/11 et 77769/13 : droit à la vie privée, dopage
Une ordonnance française indiquait que le sportif devait pouvoir fournir de manière précise sa localisation afin d’effectuer des tests anti-dopage. Les requérants estiment que ces contrôles sont très intrusifs car des contrôles peuvent avoir lieu en-dehors des périodes de compétitions et d’entraînements. Les sportifs sont donc obligés de donner leur localisation en permanence. Les requérants ont alors invoqué que cette mesure portait atteinte à la liberté d’aller et venir des sportifs.
Les requérants estiment que cette obligation de localisation viole l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à la vie privée.
La Cour doit déterminer si cette ingérence à une incidence sur le quotidien des sportifs qui sont soumis à ces mesures.
La Cour constate que ces mesures sont véritablement contraignantes pour les sportifs, qui doivent prévoir trois mois à l’avance leurs activités afin de les communiquer à l’organise de lutte anti-dopage. La Cour considère qu’il s’agit d’une restriction à « l’autonomie personnelle immédiate » des sportifs. L’ingérence est donc constatée par le Cour.
La Cour vérifie si l’ingérence est justifiée selon trois critères.
- Elle doit être prévue par la loi, faire l’objet d’une base légale en droit national. La loi doit également être accessible et claires. La Cour constatera que l’ingérence fait bien l’objet d’une base légale.
- Elle doit poursuivre un but légitime : la Cour estime que cette ingérence poursuit un but légitime en ce qu’elle tente de lutter contre le dopage, qui entraîne un déséquilibre des performances entre les sportifs qui en consomment et ceux qui n’en prennent pas.
- Elle doit avoir une nécessité dans une société démocratique : il faut donc rechercher un équilibre entre la lutte contre le dopage et la protection de la vie privée des sportifs.
La Cour conclura que cette ingérence est certes très contraignante mais celle-ci se justifie par des motifs d’intérêt général. Elle considérera que la France aura fait un bon équilibre « entre les différents intérêts en jeu ».
C.E.D.H., Les Authentiks et Supras Auteil 91 c. France, 27 octobre 2016, n° 4696/11 et 4703/11: liberté d’association
Les deux associations requérantes furent dissoutes en 2010 par deux décrets. Ces deux associations avaient pour but de redorer le blason des supporters de football et de contrer l’image que les « Boulogne Boys », groupe radical d’extrême droite pouvaient renvoyer. Lors d’un match, certains supporters des deux associations requérantes sont entrés en conflit avec des membres de « Boulogne Boys ».
La Cour a considéré que la dissolution des deux associations, considérées comme « ultras » ne constituait pas une violation de la liberté d’association, notamment en ce qu’elles s’adonnaient à des actes graves, d’une rare violence ayant conduit au décès d’un supporter.
L’ingérence s’est vue justifiée car elle faisait bien l’objet d’une base légale claire et accessible et elle poursuivait un objectif légitime de « défense de l’ordre et de prévention du crime ». La Cour a aussi indiqué que l’ingérence se justifiait car elle était nécessaire dans une société démocratique ; la dissolution des associations semble proportionnée à l’objectif de lutte contre la violence.
CEDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse
Deux affaires ont été rassemblées par la CEDH. L’une concernait un joueur de football, Monsieur Mutu, positif à la cocaïne lors d’un contrôle antidopage. L’autre concernait une patineuse de vitesse, Mme Pechstein, contrôlée positive à une substance dopante et suspendu pour une durée de deux ans. Les deux affaires ont tout d’abord été portées (séparément) devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS).
- Mutu et Mme Pechstein reprochent tous deux au TAS d’avoir manqué d’indépendance et d’impartialité. Mme Pechstein ajoute que le TAS n’a pas tenu d’audience publique.
Les requérants considèrent donc que l’article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme a été violé, à la fois pour le manque d’indépendance et d’impartialité et pour l’absence d’audience publique. Pour rappel, l’article 6 de la Convention porte sur l’accès à un tribunal.
La CEDH se prononcera sur ces deux points.
Tout d’abord, la CEDH a constaté que l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme était bien applicable aux deux litiges car ceux-ci portent tous deux sur des droits civils.
Pour vérifier si un tribunal est indépendant, la Cour indique qu’il faut vérifier le mode de désignation des arbitres ainsi que la durée de leur mandat, s’il existe une protection contre des potentielles pressions extérieures et s’il y a apparence ou non d’indépendance.
La Cour définit la impartialité comme l’absence de parti pris et de préjugé.
Mme Pechstein estimait que le Président de la formation arbitrale avait un préjugé sur les sportifs accusés de dopage. Cependant, le Cour n’observe aucun élément factuel permettant d’établir la partialité du TAS. Elle ne dispose pas non plus de motif suffisant pour établir la non-indépendance du TAS.
- Mutu mettait, quant à lui, en doute l’impartialité d’un arbitre ayant fait partie du corps décisionnel lors de sa sentence du 31 juillet 2009, sous prétexte que cet arbitre avait déjà pris part à l’une de ses sentences précédente (rendue le 15 décembre 2005).
La CEDH a indiqué que pour vérifier cela, il fallait se rapporter aux questions tranchées dans les deux sentences.
Si elles s’étaient avérées identiques, la Cour estime que nous aurions pu douter de l’impartialité de l’arbitre. Or, en l’occurrence ce n’est pas le cas. Les questions tranchées sont différentes.
Concernant l’absence d’audience publique, la CEDH donnera raison à Mme Pechstein en déclarant qu’il y a bien violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. En effet, la Cour explique le requérante a été contrainte de se rendre devant le TAS. Elle n’a pas pu privilégier un tribunal fédéral. De plus, celle-ci a manifesté à plusieurs reprises la volonté de se faire entendre.
La CEDH conclura qu’il y a bien eu violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme à l’encontre de Madame Pechstein mais pas à l’encontre de Monsieur Mutu.
Pol., Namur (division Dinant), 25 mars 2019, R.G.D.C., 2019, p. 588.
(Responsabilité, clause exonératoire de responsabilité, risques prévisibles du sport (caisse à savon))
A l’occasion d’une fête locale, une course de caisse à savon est organisée. Lors de la course, dans le dernier virage, un pilote et son copilote ont dévié de leur route et le copilote est venu se heurter contre un poteau électrique, le rendant tétraplégique. Lors de l’audition de plusieurs témoins, l’un d’entre eux souligna que le co-pilote aurait dû sortir du side-car plus tôt car celui-ci avait déjà dévié de sa route au virage précédent.
La président de l’ASBL organisatrice de l’évènement déclare que les participants ont signé une décharge avant la course qui indique qu’ils :
- Participent volontairement à la course, ont pris connaissance du règlement et s’engagent à le respecter ;
- « Reconnaissent que l’organisateur ne peut être tenu responsable en cas d’accident de quelque nature que ce soit ».
Les parties estiment cependant que le parcours de la course était mal sécurisé, particulièrement à l’endroit de l’accident.
La question fondamentale dans ce litige est de savoir si la clause d’exonération de responsabilité permet à l’ASBL de ne pas engager sa responsabilité dans l’accident.
Premièrement, le tribunal considère que la victime était majeure et accompagne d’une personne avisée lors de la signature du contrat. Elle aurait dû émettre des réserves lors de la signature de la décharge. Partant, le tribunal considère que la clause d’exonération de responsabilité est bien opposable à la victime.
Ensuite, le tribunal considère cependant qu’il serait constitutif d’un abus de droit d’opposer cette clause à la victime. Le tribunal explique que cette clause procurerait à l’ASBL « un avantage manifestement disproportionné ». Le tribunal conclut que cette clause d’exonération de responsabilité est nulle.
Dans ce jugement, nous pouvons constater deux éléments essentiels :
- Ce n’est pas parce qu’une convention est signée « à la va-vite » que le consentement à celle-ci doit être écarté d’office.
- Cependant, il est fondamental de vérifier si cette clause ne constitue pas un abus de droit. Certes, une course à savon entraine des risques et les pilotes les connaissent. Mais l’organisation doit avoir mis en œuvre ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité des participants. Ce qui n’était pas le cas ici.