Nationalité des sportifs (discrimination)
C.J.C.E., arrêt B.N.O. Walrave et L.J.N. Koch c. Association Union cycliste internationale, Koninklijke Nederlandsche Wielren Unie et Federación Española Ciclismo, 12 décembre 1974, C-36/74
Deux entraîneurs, M. Walrave et M. Koch, coachent des sportifs lors des courses cyclistes, notamment les championnats du monde, en contrepartie d’une rémunération. Ces entraîneurs ont conclu un contrat avec le coureur ou directement avec les associations des cyclistes, ou encore avec des sponsors.
Ces championnats du monde sont organisés par l’Union cycliste internationale. Le règlement de cette association indique que les entraîneurs doivent être de la même nationalité que leur(s) coureur(s). Les deux entraîneurs estiment que cette disposition va à l’encontre du Traité de Rome en ce qu’il prévoit la libre prestation de services.
Le tribunal d’arrondissement saisi décide de poser une question préjudicielle concernant ce litige à le Cour de Justice des Communautés européennes[1]. Il se demande si le fait d’imposer que les coureurs et les entraîneurs aient la même nationalité restreint la libre prestation des services et serait donc contraire au droit européen.
Tout d’abord, le tribunal d’arrondissement interroge la Cour pour déterminer si dans le cas d’espèce, nous sommes face à la liberté de circulation des travailleurs ou la libre prestation de services. Ensuite, il se demande si la disposition du règlement de l’Union cycliste internationale peut concerner un championnat dans lequel il y a, à la clé, le titre mondial et où un grand nombre de nationalités est représenté. En fonction de la réponse à cette question, le tribunal d’arrondissement demande également quel statut l’entraîneur possède-t-il :
- Soit il est considéré comme participant à la course ;
- Soit il est considéré comme aide au profit du coureur.
Le tribunal d’arrondissement se demande également si la Cour est compétente pour apprécier d’un litige concernant des championnats mondiaux car de fait ces championnats dépassent le cadre européen.
Dans le cas éventuel où il ne s’agirait ni de la libre circulation des travailleurs, ni de la libre prestation de services, le tribunal se demande si la disposition de l’Union cycliste internationale ne serait pas une restriction à l’article 7 du traité CEE[2], qui porte sur l’interdiction de la discrimination sur la nationalité. En fonction de la réponse à cette question, le tribunal d’arrondissement pose les mêmes sous-questions que précédemment.
La Cour rappelle que, pour que le sport relève du droit communautaire, il doit constituer une activité économique. Les dispositions européennes concernant la non-discrimination ne s’appliquent donc que lorsque le sport constitue une activité économique. La Cour conclut donc que la formation d’une équipe, qui plus est nationale, ne concerne pas le droit communautaire, la composante économique faisant défaut. C’est donc la juridiction nationale qui doit statuer sur ce point.
La Cour indique que la non-discrimination s’impose tant aux actions des autorités publiques qu’aux réglementations telles que celles de l’Union cycliste internationale qui visent à régler le travail salarié et les prestations de services. Les dispositions relevant de la non-discrimination au sein du traité CEE peuvent donc être appliquée à l’encontre des dispositions du règlement de l’Union cycliste.
La Cour a ensuite répondu à la question concernant le lieu de la compétition. En effet, la juridiction de renvoi se demandait si le fait que la compétition ait lieu sur un territoire hors de la Communauté influencerait la solution du litige.
Le principe de non-discrimination peut s’appliquer :
- Soit en raison du lieu où les rapports juridiques sont établis.
- Soit en raison du lieu où ils produisent leurs effets.
Si l’une de ces deux réponses est le territoire d’un Etat membre de la Communauté, alors le principe de non-discrimination est applicable.
Dans le cas d’espèce, la Cour établira que le juge national sera compétant pour apprécier de la localisation des rapports juridiques ou de la production des effets.
La Cour rappelle enfin que les dispositions européennes invoquées ont « des effets directs dans l’ordre juridique des Etats membres »[3] et que les Etats membres sont tenus de les sauvegarder.
C.J.C.E., arrêt Gaetano Donà c. Mario Mantero, 14 juillet 1976, C-13/76.
Dans cette affaire, M. Mantero engage M. Doña en tant que représentant de joueurs étrangers pour son club italien. M. Doña publie alors une annonce dans un média sportif belge afin d’attirer des joueurs.
Cependant, M. Mantero ne tient pas comptes des candidatures qui lui parviennent grâce à M. Dona et refuse de lui rembourser les frais de l’annonce. M. Doña engage alors une action en justice afin de faire condamner M. Mantero à payer les frais que M. Dona lui revendique.
Pour se défendre, M. Mantero invoque les dispositions combinées 16 et 28, g) du règlement organique de la fédération italienne de football qui indiquent que l’affiliation à un club italien n’est possible que pour les personnes ayant la nationalité italienne. Ce sera seulement après avoir levé cette restriction que M. Mantero estime pouvoir prendre en compte les candidatures de joueurs étrangers. M. Doña répond à cela en prétendant que le règlement invoqué par M. Mantero est contraire aux article 7, 48 et 59 du traité CEE[4].
Des questions préjudicielles vont alors être posées à la Cour de Justice des Communautés européennes par le juge conciliateur chargé de cette affaire :
- Est-ce que les articles invoqués par M. Doña confèrent « à tous les sujets qui ont la nationalité d’un Etat membre d’effectuer des prestations » (en tant que travailleur salarié ou indépendant) dans un autre Etat membre ?
La Cour répond que les articles 7, 48 et 59 invalident la règlementation de la Fédération italienne de football car celle-ci est contraire à l’interdiction de discrimination (que l’on soit face à la libre circulation des travailleurs ou à la libre prestation de service). Un règlement d’une fédération ne peut pas prévoir que seuls les ressortissants de l’Etat où est établie la fédération peuvent s’affilier à celle-ci.
- Est-ce aussi le cas pour des joueurs de football professionnels ?
La Cour indique que les joueurs professionnels exercent une activité économique. Le droit communautaire leur est bien applicable. En effet, pour que l’exercice d’un sport relève du droit européen, il est nécessaire que celui-ci constitue une activité économique. Dès lors, la réponse à la question précédente est la même pour les joueurs professionnels.
- Si oui, ce droit a-t-il une incidence face à une disposition d’un « organisme national compétent pour réglementer le football sur le territoire national ».
La question préjudicielle concerne ici le principe de hiérarchie des normes. Il faut déterminer qui de la règlementation nationale ou du traité de la CEE prime sur l’autre. L’acception généralement adoptée est que les normes internationales (européennes en l’occurrence) priment sur les normes nationales. Et si oui, ce droit a-t-il un effet direct devant les juridictions nationales ?
La Cour répond à cette question en faisant référence à l’arrêt Walrave. Elle indique que l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité vaut également pour les règlementations telle que celle de la fédération italienne de football. La Cour rappelle également que cette interdiction a un caractère impératif. Les justiciables peuvent se prévaloir du principe de non-discrimination directement devant les juridictions.
Arrêt du Conseil d’Etat français du 30 décembre 2002 Lilia Malaja
Une joueuse de basket-ball polonaise n’avait pas pu être embauchée dans le club de Strasbourg car deux joueuses étrangères faisaient déjà partie de l’équipe. La Fédération française de Basket-ball avait émis la règle selon laquelle le nombre maximal de joueuses étrangères dans une équipe ne pouvaient dépasser deux.
Dans le litige opposant la Fédération française de basket-ball à Madame Lilia Malaja, le Conseil d’Etat français, a conclu que, au regard de l’article 37 de l’accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la Pologne, la Fédération française de basket effectuait une discrimination au regard de la nationalité. Cette discrimination était donc contraire au principe de non-discrimination énoncé à l’article 37 de l’accord précité. Le Conseil d’Etat français condamnera donc la Fédération française de basket-ball à payer une indemnité à la joueuse polonaise.
C.J.U.E., arrêt Deutscher Handballbund eV c. Maros Kolpak, 8 mai 2003, C-438/00.
Maros Kolpak est un gardien de handball slovaque qui a signé deux contrats consécutifs dans un club allemand de deuxième division. Il détient un titre de séjour en Allemagne et y réside.
L’organisation qui institue des matches de championnat et de coupe au niveau fédéral a accordé une licence à Maros Kolpak avec une mention spéciale propre aux joueurs ressortissants d’un pays tiers. Cependant, Monsieur Kolpak avait fait la demande d’une licence sans cette mention car celle-ci imposait des restrictions auxquelles les joueurs de nationalité allemande n’étaient pas soumis.
La Cour d’appel de Hamm a posé la question préjudicielle suivante: « L’article 38, paragraphe 1, de l’accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République slovaque, d’autre part — acte final — s’oppose-t-il à ce qu’une fédération sportive applique à un sportif professionnel de nationalité slovaque une règle — par elle élaborée — suivant laquelle les clubs ne sont autorisés à aligner, lors des matches de championnat ou de coupe, qu’un nombre limité de joueurs originaires de pays tiers, non membres des Communautés européennes?»
La Cour constate, dans un premier temps, que l’article 38 précité est identique à la disposition avancée dans l’affaire Lilia Malaja. En effet, l’article 37 de l’accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la Pologne et l’article 38 de l’accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la République slovaque poursuivent les mêmes objectifs.
Dans un second temps, la Cour énonce que l’article 38 dispose d’un effet direct vertical. Des particuliers peuvent donc directement se prévaloir de cette disposition devant les juridictions nationales de l’Etat membre d’accueil.
La Cour a ensuite déterminé que l’article 38 s’appliquait bel et bien à « une règle édictée par une fédération sportive qui détermine les conditions d’exercice d’une activité salariée par des sportifs professionnels ».
La Cour aboutit à la conclusion que l’article 38 « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application à un sportif professionnel de nationalité slovaque, régulièrement employé par un club établi dans un État membre, d’une règle édictée par une fédération sportive du même État, selon laquelle les clubs ne sont autorisés à aligner, lors des matches de championnat ou de coupe, qu’un nombre limité de joueurs originaires de pays tiers qui ne sont pas partie à l’accord sur l’Espace économique européen ».
C.J.C.E., arrêt Igor Simutenkov c. Ministerio de Educación y Cultura et Real Federación Española de Fútbol, 12 avril 2005, C-265/03.
Le litige opposait Monsieur Simutenkov et le Ministre de l’Education et de la Culture ainsi que le Fédération royale espagnole de football. Simutenkov était titulaire d’un titre de séjour et d’un permis de travail en Espagne. Il était également détenteur d’« une licence fédérale en qualité de joueur non communautaire ». Monsieur Simutenkov a fait une demande à la fédération espagnole afin de bénéficier d’une licence identique à celles des joueurs espagnols, en invoquant l’accord de partenariat Communauté-Russie.
Cette demande fut rejetée quelques jours plus tard par la fédération. Elle a estimé que cette demande allait à l’encontre de son propre règlement. Simutenkov a introduit un recours contre cette décision de la Fédération royale espagnole de football.
La juridiction espagnole a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne : «L’article 23 de l’accord de partenariat [Communautés-Russie] s’oppose-t-il à l’application par une fédération sportive à un sportif professionnel de nationalité russe, régulièrement employé par un club de football espagnol, tel que celui en cause dans le recours au principal, d’une règle selon laquelle les clubs ne sont autorisés à aligner, dans les compétitions organisées à l’échelle nationale, qu’un nombre limité de joueurs originaires d’États tiers qui ne sont pas parties à l’accord sur l’Espace économique européen?».
Autrement dit, la question est de savoir si l’article 23 s’oppose à la disposition du règlement de la fédération espagnol qui limite le nombre de joueurs émanant d’Etat tiers qui ne sont pas parties à l’accord sur l’Espace économique européen.
À ce sujet, la Cour va conclure dans l’affirmative en disposant que l’article 23 « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application à un sportif professionnel de nationalité russe, régulièrement employé par un club établi dans un Etat membre, d’une règle édictée par une fédération sportive du même État, selon laquelle les clubs ne sont autorisés à aligner, dans les compétitions organisées à l’échelle nationale, qu’un nombre limité de joueurs originaires d’États tiers qui ne sont pas parties à l’accord sur l’Espace économique européen ».
Références
[1] CEE était une institution européenne jusqu’en 2009.
[2] Abrogé et remplacé par des dispositions du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne
[3] Arrêt Walrave et Koch, point 30.
[4] Abrogés et remplacés par des dispositions du TFUE